Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/498

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de l’école Saint-André était un homme grand et fort, de cinquante ans environ. À première vue, rien, dans sa robuste corpulence, n’annonçait l’ascétisme de sa vie. La grosseur de ses joues et la coloration de son teint lui auraient même donné un air poupin, si le pli sérieux de sa bouche et surtout la beauté de son regard n’eussent corrigé cette première apparence. La sorte d’imagination propre aux artistes, qui, élaborée par l’hérédité, avait produit la mélancolie morbide de la mère de René, le talent du poète et son attrait pour toutes les choses brillantes, comme la tendresse désordonnée d’Émilie à l’égard de son frère ; cette imagination qui empêche l’esprit de s’arrêter au fait présent et positif, mais qui teinte sans cesse les objets de couleurs trop brillantes ou trop sombres ; cette dangereuse, cette toute puissante faculté allumait aussi ses éclairs dans les yeux bleus du prêtre. Seulement la discipline catholique en avait corrigé l’excès, comme la foi profonde en avait sanctifié l’emploi. Il y avait une sérénité dans cet ardent regard, celle de l’homme qui s’est endormi chaque soir et réveillé chaque matin, durant des années, sur une idée de dévouement. Cette idée à laquelle la conversation avec l’abbé Taconet revenait toujours, Claude en connaissait la formule si précise et si définie : reconstituer l’âme française