Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/509

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libertinage… « Est-il vraiment trop tard ? … » se demanda-t-il en marchant dans sa chambre de long en large. Il aperçut, comme un port lointain, la maison de sa vieille parente, de cette sœur de son père, isolée en province, à laquelle il écrivait deux ou trois fois chaque hiver, et presque toujours, depuis des années, pour lui demander de l’argent. La petite chambre qui l’attendait se peignit dans sa pensée, avec sa fenêtre ouverte sur une prairie. Un coteau fermait cette prairie, que traversait une rivière bordée de saules. Pourquoi ne pas faire là une retraite, où il essaierait de se reprendre ? Pourquoi ne pas tenter une dernière fois de s’arracher aux vilenies d’une existence sur laquelle il n’avait plus une illusion ? Que ne partait-il tout de suite, et sans même revoir cette femme qui lui avait été plus funeste que Suzanne à René ? … L’agitation où le jeta cette vue subite d’un salut encore possible le chassa de son appartement, non sans qu’il eût dit à Ferdinand de préparer sa malle. Il sortit, et il se laissa conduire au hasard de ses pas jusqu’à l’entrée des Champs-Élysées. Par cette claire soirée de la fin de mai, les équipages passaient, passaient, innombrables. L’antithèse entre ce décor mouvant du Paris des fêtes, tant aimé autrefois, et le décor immobile qu’il rêvait maintenant à une conversion suprême séduisit l’artiste. Il s’assit