Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/76

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ce silence et aux murmures approbatifs qui s’élevèrent bientôt, il comprenait, il sentait que son œuvre s’imposait à ce public de mondaines et de mondains réunis dans ce salon, comme elle s’était imposée à la salle de « première » au Théâtre-Français, toute remplie d’écrivains fatigués, de courriéristes blasés, de boulevardiers viveurs et de femmes galantes. Une hallucination intérieure ramenait malgré lui le jeune homme vers l’époque où il avait imaginé, puis écrit, cette saynète qui lui valait, ce soir, un nouveau et délicieux frémissement d’amour-propre, après avoir si profondément bouleversé sa vie. Il se revoyait au printemps dernier, se promenant dans les allées du jardin du Luxembourg, vers le crépuscule ; et le mystère de la nuit commençante, l’arome des fleurs, l’azur assombri du ciel apparu à travers la feuillée encore rare, le marbre des statues des reines, tout de ce paysage l’avait enivré, d’autant plus que Rosalie marchait auprès de lui, silencieuse. Elle avait une si candide façon de le regarder avec ses yeux noirs, où il pouvait lire une tendresse inconsciente et passionnée ! C’était ce soir-là qu’il lui avait parlé d’amour, ainsi, dans le parfum des premiers lilas, tandis que la voix de madame Offarel causant avec Émilie leur arrivait, indistincte. Il était revenu rue Coëtlogon en