Page:Bourget - Nouveaux Essais de psychologie contemporaine, 1886.djvu/162

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et l’Âme se laisse aller à suivre cette invitation aux pèlerinages lointains ; — elle s’y décide ; mais le rêve est aussi trompeur qu’il est séduisant, aussi perfide qu’il paraît tendre, car il ne guérit du réel que pour quelques heures, quelques minutes, et l’Âme se retrouve plus dénudée encore, plus vulnérable. Et puis, elle sait trop que le rêve n’est qu’un fantôme, une ombre vaine, et, ainsi placée entre ce qu’elle aime et comprend être un mensonge, entre ce qu’elle hait et comprend être une vérité indestructible et meurtrière, que lui reste-t-il que de tout maudire, excepté la bonne Déesse, la seule qui offre aux vaincus la coupe remplie de l’eau du Léthé ?...

Et toi, divine Mort où tout rentre et s’efface,
Accueille tes enfants dans ton sein étoile ;
Affranchis-nous du temps, du nombre et de l’espace,
Et rends-nous le repos que la vie a troublé.


De tels éclats de désespoir, leur ardeur et leur humanité suffiraient à justifier M. Leconte de Lisle du reproche de rhétorique impassible que lui ont adressé les ennemis de son œuvre. Ces éclats chez lui abondent, et sa poésie est, pour qui s’y abandonne, l’une des plus passionnées