Page:Bourget - Un homme d’affaires - Dualité - Un Réveillon - L’outragé, Plon, 1900.djvu/110

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sa bouche avec ces yeux d’homme dans lesquels elle avait toujours rencontré tant d’indulgente tendresse, elle en comprenait l’expression à présent ! — avec ce front qu’elle avait vu soucieux ce soir à cause d’elle, pourquoi ? elle s’en rendait compte à cette heure ; — avec cette bouche qui ne lui avait jamais dit que des paroles d’affection, et elle devinait quelles autres paroles et de quelle autre affection ces lèvres de son vrai père auraient voulu prononcer et qu’elles avaient tues !… Alors, une espèce de frémissement sacré s’émut en elle, où, pour quelques instants, la tendresse noya la révolte. Ses larmes, qui s’étaient arrêtées, recommencèrent de couler, mais douces cette fois, car elles jaillissaient du plus profond de son humanité, vers celui qu’elle n’appellerait jamais « mon père », qui ne l’appellerait jamais « ma fille », — et ses lèvres se posèrent sur le portrait, désespérément, longuement et pieusement.

À travers ce va-et-vient de sa sensibilité, remuée ainsi dans ses plus secrètes profondeurs, ces images de son enfance soudain évoquées par la contemplation du portrait de son vrai père allaient