Page:Bourget - Un homme d’affaires - Dualité - Un Réveillon - L’outragé, Plon, 1900.djvu/112

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elles garder dans un cœur que venait de mordre une telle souffrance, si positive, si âpre, si mêlée au plus intime de la chair et du sang ! En se rappelant le souci de San Giobbe ce soir, Béatrice s’était rappelé aussi ce projet de mariage, si tendrement caressé dans ses songes de ces dernières semaines. Gabriel s’était représenté à sa pensée, tel qu’ils s’étaient quittés après le déjeuner sur le perron du château, lui, montant dans la victoria préparée pour son départ, et se retournant au coin de l’allée pour la saluer d’un dernier geste, d’un dernier regard. Si elle devait ne pas l’épouser, cet « au revoir » était un « adieu », et ni lui ni elle ne l’avaient deviné !… Cette vision se doublait aussitôt d’une autre, de celle de Gabriel apprenant ce mariage, et avec quel rival ! Qu’il serait malheureux et comme il la mépriserait !… Oui, mais ce perron même, sur le seuil duquel ils s’étaient quittés ; les arbres de ce parc, sous les blonds feuillages desquels ils s’étaient promenés ; cette allée au tournant de laquelle avait disparu la victoria, cette Victoria, le cheval qui la traînait, le cocher qui la conduisait, la fourrure que le jeune homme avait posée sur ses genoux, — à qui donc était tout