Page:Bourget - Un homme d’affaires - Dualité - Un Réveillon - L’outragé, Plon, 1900.djvu/85

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au souvenir de la tragédie à laquelle préludait, il y a un siècle et plus, cette gaieté légère. D’ailleurs, même sans cette tragédie, n’y a-t-il pas toujours un charme de tristesse dans ce qui fut la fête d’une époque à jamais passée ?… Béatrice avait une sensibilité trop déliée pour ne pas subir cette impression, surtout dans l’état de joie anxieuse où elle se trouvait. Gabriel avait parlé à Mme Nortier, et celle-ci avait promis de parler le soir même à son mari. La jeune fille appréhendait de graves objections, quoiqu’elle ne doutât pas du consentement final, et elle épanchait le trouble secret dont débordait son cœur dans cette harmonie ardente et finement passionnée. Pourquoi faut-il que la grâce innocente et fragile exaspère encore la méchanceté quand elle ne l’apaise point ? Pourquoi est-ce une loi de l’être qui hait, qu’il haïsse davantage l’être sans défense, inoffensif et désarmé ? Jamais, depuis la naissance de cette enfant, qui portait, sur toute sa délicate physionomie, la preuve de la trahison de sa mère, jamais, non, jamais Nortier n’avait éprouvé plus d’aversion animale contre elle qu’à la voir ainsi, à son piano, ravie et frémissante, tout abandonnée