Page:Bourget - Une idylle tragique, Plon-Nourrit.djvu/133

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avec l’éloquence d’une amitié frémissante, un plan de conduite qui venait soudain de lui apparaître, comme le plus sage et le plus efficace.

— « Il faut saisir l’occasion qui t’est offerte, » disait-elle, a tu n’en auras jamais de meilleure. Il faut toi-même faire venir ce jeune homme, et lui parler de cet achat d’hier au soir… Tu lui diras que d’autres personnes l’ont vu. Tu lui montreras ton étonnement de son indiscrétion. Tu lui diras que son assiduité a été remarquée. Au nom de ton repos, au nom de ta réputation, tu lui ordonneras de s’éloigner. Un peu de fermeté pendant un quart d’heure, et ce sera fini… Il ne serait pas celui que tu m’as peint, délicat, noble et fier s’il n’obéissait pas à ton désir… Ah ! crois-moi ! … Tu n’as qu’une façon de l’aimer, une seule. Sauve-le d’un drame qui n’est plus seulement possible et lointain, qui est inévitable et tout proche… »

Ely écoutait sans répondre. Epuisée par ses confidences de la nuit et leurs terribles secousses, elle était sans force contre les suggestions d’une tendresse qui en appelait chez elle, pour combattre son amour, à cet amour lui-même. Il y a dans les sentiments très complets un instinctif et violent appétit des résolutions extrêmes. Quand ils ne peuvent pas se satisfaire dans l’entier bonheur, ils demandent à l’entier malheur une sorte d’assouvissement. Remplissant notre âme jusqu’au fond, ils la portent sans cesse tout entière vers les deux pôles de l’extase ou du désespoir, sans jamais s’arrêter aux solutions moyennes. Louise Brion