Page:Bourget - Une idylle tragique, Plon-Nourrit.djvu/138

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il souffrait le premier. Conduite par ce personnage si étrangement irritable, toute entreprise devait échouer, on le sentait, et qu’une frénésie intérieure et irrésistible lui défendait de se mettre en harmonie avec aucun milieu, aucune circonstance, aucune nécessité. Cette nature supérieure était incapable d’acceptation. Peut-être le secret de son déséquilibre intime résidait-il dans la pensée, fixe chez lui, d’avoir été à une époque si près du trône et d’en être à jamais écarté, d’avoir vu commettre les plus irréparables fautes de politique et de guerre, de les avoir sues telles au moment même, et de n’avoir pu les empêcher. Ainsi au début de la guerre de 1866, il avait tracé un plan de campagne qui pouvait changer la face de l’Europe dans cette dernière moitié du siècle. Au lieu de cela, il avait dû risquer sa vie pour l’exécution de manœuvres dont il prévoyait l’échec assuré. Chaque année, à l’anniversaire de la célèbre bataille où il avait été blessé, il devenait littéralement fou pendant quarante-huit heures. Il l’était de même chaque fois que l’on prononçait devant lui le nom de quelque grand révolutionnaire militant. L’archiduc ne se pardonnait pas la faiblesse par laquelle il conservait les bénéfices attachés à son titre et à son rang, alors que son goût des théories abstraites et les rancœurs de sa destinée manquée l’avaient conduit à partager les pires convictions du socialisme anarchiste. D’ailleurs prodigieusement instruit, grand liseur et grand causeur, il semblait qu’il se vengeât