Page:Bourget - Une idylle tragique, Plon-Nourrit.djvu/184

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et cette association d’images les offense, au plus vif de leur amour même, comme une indigne profanation. Dans la familiarité toujours plus émue de ces deux semaines, Pierre n’avait pas osé demander un rendez-vous plus intime à cette femme qui s’était livrée à lui sans défense, en lui parlant comme elle avait fait, dans la magnifique sincérité de sa passion. Pour échapper aux surveillances de la vie mondaine de Cannes, une des plus ouvertes qui soient, il aurait fallu recourir à des rencontres dans des chambres d’hôtels, à Nice ou à Monte-Carlo, dont la seule pensée lui répugnait. Mais, après la possession, serait-elle liée à lui d’un lien plus étroit qu’elle ne l’avait été par le premier baiser de cette première heure ? Lorsqu’elle lui avait dit : « Nous nous aimons, » les mains dans les mains, les yeux dans les yeux, — il s’était penché vers elle, défaillant d’un bonheur dont il avait cru mourir, et leurs lèvres s’étaient prises… En la contemplant, à cette minute et sur ce pont solitaire du yacht, Pierre tremblait jusqu’au fond de l’être au seul sourire de cette bouche : il en sentait encore sur la sienne la délicieuse et fraîche brûlure. À voir son amie si souple, si jeune, avec sa taille où frémissait toute la nervosité d’une créature de race, il se rappelait de quelle étreinte il l’avait serrée contre lui dans le jardin de la villa Helmholtz, deux jours après ce premier aveu… Elle l’avait conduit, sous prétexte de causerie, jusqu’à une espèce de belvédère, de cloître plutôt, avec une double rangée de colonnes peintes