Page:Bourget - Une idylle tragique, Plon-Nourrit.djvu/274

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est un des trois ou quatre personnages, avec l’empereur du Brésil, le prince de Monaco, l’archiduc en Bavière, qui ont pris rang dans la science et qui réhabilitent les trônes. Il paraît que c’est un savant, un vrai… »

— « Il peut être un vrai savant, » répondit Hautefeuille, « je ne le nie pas ; mais c’est un abominable homme… Si tu l’avais vu, comme je l’ai vu, dans le salon de sa femme, faisant la scène qu’il a faite devant six personnes, tu l’admirerais, elle, de supporter la vie auprès de ce monstre, fût-ce un jour, et tu la plaindrais. »

Il avait parlé, cette fois, avec une conviction passionnée. En toute circonstance, Olivier, qui le savait peu démonstratif, eût remarqué avec étonnement la vivacité de cet intérêt avoué ainsi. Remué comme il venait de l’être, l’accent profond de son ami devait le surprendre, le saisir davantage encore. Il le regarda. Sur cette physionomie dont il avait, d’année en année, depuis l’enfance, suivi toutes les métamorphoses, il aperçut une expression qu’il ne connaissait pas. Dans l’éclair d’une intuition fulgurante, il entrevit, non pas toute la vérité, mais assez de la vérité pour en demeurer bouleversé. — « Est-ce qu’il l’aimerait ? … » Cette question venait de se prononcer dans son esprit, subitement, spontanément, comme si une voix étrangère l’eût murmurée en lui malgré lui. Elle était trop inattendue, trop douloureuse aussi, pour qu’une réaction ne se produisit pas à l’instant : « Je suis fou, » se dit-il « c’est impossible… »