Page:Bourget - Une idylle tragique, Plon-Nourrit.djvu/337

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la plaie : avoir aimé, aimer encore une ancienne maîtresse, de ce mauvais, de ce sinistre amour, et savoir que cette femme est la maîtresse du meilleur, du plus tendre ami, d’un frère de choix plus chéri qu’un vrai frère ? Aussi distinctement qu’elle pouvait voir les premiers rais de l’aube percer l’interstice des rideaux à la fin de cette nuit d’une méditation épouvantée, Ely voyait ces sentiments à l’œuvre dans le cœur d’Olivier. « .Qui sème le vent récolte la tempête », dit un proverbe de son pays. Quand elle avait souhaité de rencontrer Hautefeuille et de s’en faire aimer, elle avait voulu frapper Du Prat au plus vif, au plus saignant de sa sensibilité, l’atteindre dans cette amitié si vulnérable, l’y martyriser et se venger. Elle avait trop bien réussi. Quel coup allait-il lui porter, dans la rage de cette douleur ? Et elle-même, elle qui avait tant changé depuis l’instant où elle avait conçu le projet de cette cruelle vengeance, comment se défendrait-elle, et quel parti suivre ? … — implorer cet homme, le supplier, l’apitoyer ? … Ou bien ruser avec lui, l’amener, à force d’adresse, à douter de sa liaison avec Hautefeuille, car enfin il n’avait aucune preuve ? … Ou mieux, lui tenir tête, et, quand il oserait se présenter devant elle, le mettre dehors, car il n’avait plus aucun droit ? … — Contre le premier de ces moyens son orgueil, contre le second sa noblesse, contre le troisième sa raison se révoltaient également. Dans les crises décisives comme celle que la pauvre femme traversait, l’être en appelle toujours d’instinct aux parties