Page:Bourget - Une idylle tragique, Plon-Nourrit.djvu/88

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En disant ces mots elle porta à son visage la rose dont elle avait mordu les pétales ; et tristement, tendrement, passionnément :

— « Ce fut ensuite comme une sensation de source fraîche dans un désert ! … Si tu savais comme ce monde frelaté où je vis me fatigue, m’écœure, m’excède ! Comme j’en ai assez de toujours entendre raconter les déjeuners que Dickie Marsh donne sur son yacht aux grands-ducs, les bezigues de Navagero avec les princes, les coups de bourse de Chésv et de la demi-douzaine de gogos titrés qui suivent ses conseils ! Si tu savais comme les meilleurs de ce monde factice me lassent, comme cela m’est égal de savoir si la Bonaccorsi se décidera à épouser le sire de Corancez, et les innombrables calomnies écloses à tous les thés de cinq heures dans les cent villas de Cannes ! … Je ne te parle pas de l’enfer qu’est ma maison depuis que mon mari me soupçonne de favoriser le mariage de Flossie Marsh avec Verdier, son préparateur ! … De rencontrer dans cette atmosphère d’ennui et de vanité, de sottises et d’enfantillages, un être à la fois profond et simple, vrai et romanesque, archaïque enfin, comme je m’amuse à l’appeler, ce fut un ravissement, une entrée dans une oasis ! … Et puis, une minute est venue où j’ai senti que j’aimais ce jeune homme et qu’il m’aimait, sans un incident, sans un geste, sans un mot, sans rien, à un regard de lui surpris par hasard. C’est pour cela que je me suis réfugiée ici pendant ces huit jours… J’avais peur. J’ai peur encore… Peur pour moi… Un peu. Je me