Page:Bourgogne - Mémoires du Sergent Bourgogne.djvu/327

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Wilbalen. Quelques canonniers, aussi de la Garde, y étaient encore, mais ils se disposaient à partir.

Il n’y avait pas dix minutes que je dormais comme un bienheureux, que je me sentis fortement secoué par le bras. Je veux résister, mais l’on me soulève par les épaules ; enfin je m’éveille, et un cri se fait entendre, proféré par un vieux canonnier : « Les Cosaques ! Levez-vous, mon garçon ! Encore un peu de courage ! »

J’aperçus onze Cosaques arrêtés et qui, probablement, n’attendaient que notre départ pour venir prendre nos places : « Allons, dit le canonnier, il faut céder la position et battre en retraite sur Wilbalen ! Nous n’avons plus qu’une lieue ; ainsi, partons ! »

Il fallut se remettre en route ; nous étions six, quatre canonniers, le petit soldat du train et moi. Nous sortîmes de la grange. C’était le 16 décembre, cinquante-neuvième journée de marche, depuis notre départ de Moscou. Le vent était impétueux et le froid excessif. Tout à coup, malgré ce que mon camarade put faire pour me soutenir, je m’affaissai, accablé par le sommeil et par la fatigue. Il fallut les efforts de deux canonniers et de mon compagnon pour me mettre debout ; quoique sur mes jambes, je dormais toujours, mais un canonnier m’ayant frotté la figure avec de la neige, je m’éveillai. Ensuite il me fit avaler un peu d’eau-de-vie ; cela me remit un peu. Ils me prirent chacun par un bras, et me firent marcher, de la sorte, beaucoup plus vite que je n’aurais pu marcher seul. C’est de cette manière que j’arrivai à Wilbalen. En entrant, nous apprîmes que le roi Murat y était avec tous les débris de la Garde impériale.

Malgré le grand froid, l’on voyait assez de mouvement dans la ville, de la part des militaires, dans l’espoir d’acheter aux juifs, assez nombreux dans cet endroit, du pain et de l’eau-de-vie. On voyait aussi, à la porte de chaque maison, une sentinelle, et lorsqu’un arrivant se présentait pour entrer, on lui répondait qu’il y avait un général logé, ou un colonel, ou qu’il n’y avait plus de place. D’autres nous disaient : « Cherchez votre régiment ! » Les canonniers trouvèrent des camarades de leur régiment et s’en furent avec eux. Je commençais à me désespérer, lorsqu’un paysan me