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LES TYPOGRAPHES. 49

trois semaines, non de façon à le parler, mais suffisamment pour corriger en bon. Il savait, en outre, le latin, le grec, l’anglais, l’italien et l’espagnol. Sur la fin, il était devenu morose.

Un autre affecte des allures populacières et une mise débraillée : il a le verbe haut, la faconde intarissable. Poète et chansonnier à ses heures, il fredonne tous les flonflons nouveaux. Il dédaigne le café et traite d’aristocrates les confrères qui y vont ; en revanche, il fréquente assidûment le mastroc, devant le comptoir duquel il trône et pérore volontiers. C’est le type du correcteur poivreau. On affirme autour de lui qu’il n’est jamais plus apte à chasser la coquille que lorsqu’il nage entre deux… vins. Cette assertion, est-il besoin de le dire ? ne doit être acceptée que sous bénéfice d’inventaire. Quoi qu’il en soit, grâce au bonnet et à la camaraderie, il ne chôme presque jamais.

Pour terminer, faisons le portrait d’un véritable original. C’est un individu aux larges épaules, à la voix de Stentor : quand il vous parle, on croirait qu’il veut vous avaler. Il n’est pas si méchant qu’il en a l’air. Il a joui d’une grande aisance aujourd’hui disparue. Entré tardivement dans la profession (il comptait plus de cinquante hivers), il a souvent l’air de descendre de la lune en présence des mille incidents de la vie d’atelier, nouvelle pour lui. Du reste, instruit, piocheur, il fait convenablement son travail. Le trait le plus curieux de son caractère, c’est que, trouvant tout mal ici-bas, il ne voit de bonheur vrai que dans un autre monde ; s’occupant peu de ce qui