Page:Bouton - Profils révolutionnaires par un crayon rouge, 1848-1849.djvu/97

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Ton père, mon pauvre chéri.
Quoique maintenant il t’embrasse,
Quand tu poussas ton premier cri,
Fit une pieuse grimace.
Il avait raison, sur ma foi,
On se serait passé de toi.
Dodo, mon petiot,
Dieu n’a rien mis dans ta besace,
Dodo, mon petiot,
Garde des larmes pour tantôt.

Tu jeûneras plus d’une fois.
Lorsque tu reçus l’existence,
Tes cinq aînés, qui vont au bois,
Avaient déjà maigre pitance,
Un eût suffi, mais six, hélas !…
Guillot le riche n’en a pas.
Dodo, mon petiot,
Ta mère en a fait pénitence,
Dodo, mon petiot,
Garde des larmes pour tantôt.

Le bon Dieu, qu’il faut adorer,
Quoique parfois sa foudre gronde,
Créa le soleil pour dorer
Les grains que la terre féconde.
De grands mangeurs, pour leurs sillons,
Ont accaparé ses rayons :
Dodo, mon petiot,
Il ne luit pas pour tout le monde,
Dodo, mon petiot,
Garde des larmes pour tantôt.

Quand tu seras père à ton tour,
Au lieu d’écouter ta colère :
Lorsque du fruit de ton amour
La plainte sera trop amère.
À sa clameur pour mettre un frein,
Rappelle-toi ce vieux refrain :
Dodo, mon petiot,
Je le tiens de feu mon grand-père,
Dodo, mon petiot,
Garde des larmes pour tantôt.


Quel sentiment de la famille dans cette dure misère. C’est une peinture naïve et charmante. Une larme arrive au bord de la paupière, puis un rayon vient la sécher.

Lachambeaudie. — Si vous rencontrez un homme à la démarche lente et grave, à la tête inclinée, au regard nonchalant, un vrai Lafontaine, égaré au coin des rues, vous aurez vu Lachambeaudie : c’est le fabuliste démocrate et socialiste qui a vu, à travers les éclairs de son intelligence, que l’idée sociale est là, près de vous, derrière le rideau qu’un coup de théâtre va déchirer. — Le règne du Travail est une chose positive pour Lachambeaudie. Il ne doute pas, — un fabuliste ne doute jamais, — que la République démocratique et sociale ne descende, un de ces jours, de la théorie dans le fait, des clubs dans le Gouvernement.

Je l’ai vu près de Blanqui, au club de la rue Bergère, calme, imperturbable, le menton dans sa main, l’air rêveur, au milieu des séances les plus orageuses. C’est un philosophe que rien ne trouble. Lachambeaudie, assis près de Blanqui, au milieu de cette Société Républicaine centrale, si grosse d’orages et de secousses, c’est un poète crayonnant des vers à l’abri d’un chêne où la foudre tombe.

Il fit, après les événemens du 16 avril, une chanson dont le refrain était : « Ne criez pas : à bas les communistes ! » On la distribua à la porte du club. Aux journées de juin, la renommée l’atteignit ; les gens de son quartier se souvinrent de sa présence au club Blanqui. Ils le menèrent en prison. Pauvre ami ! être inoffensif, figure impassible, tête du bon Dieu ! lui qui fit cette fable, et parce qu’il la fit, on l’enchaîna… À ce titre, La Fontaine est un républicain de la veille et de l’avant-veille. Écoutez :

Le Castor et le Chasseur.

Un castor pris au piège était par un chasseur
Employé comme laboureur.
Jugez de son supplice et de sa maladresse.
Vainement sur son dos on usait l’aiguillon.
Il se couchait sur le sillon.
Le chasseur, furieux, l’accusant de paresse,
Mon castor, à la fin, sur ses pieds se redresse
Et lui dit : « Donnez-moi du mortier, du moellon,
Laissez-moi, c’est mon goût, redevenir maçon,
Et du travail je reprends l’habitude. »
Tel que vous prétendez être un franc paresseux,
Bientôt vous le verrez adroit, laborieux ;
Mais il faut le classer selon son aptitude.


Il y a toute une théorie sociale dans ce dernier vers. — Mais, ô rigueur des temps ! arrêté sans mandat, lié à la chaîne des insurgés de juin, promené lentement dans les rues de Paris, entre des baïonnettes disposées à tuer au moindre éveil, et enfermé au fort de Bicêtre ! — Mais il lui fut donné de voir tomber ses fers à la voix de Béranger. Le Maître le fit rendre à la liberté. C’est beau.

Jules Allard. — Jules Allard s’est mêlé plus intimement aux luttes du parti. Compromis dans une affaire de presse clandestine, il fut condamné — Son vers est serré, plein, entier, franc, sans pléonasme ; il marche effrontément. S’il se plaint, il ne supplie pas à genoux ; s’il est captif, il parle du moins comme un homme libre : c’est de l’ode.


À l’Aumônier de ma prison.

Quand vous allez, pareil à l’ange qui console,
Apporter à chacun votre douce parole,
Comme un divin parfum de bénédiction,
J’y dois avoir aussi des droits que je réclame ;
Homme de Dieu, pourquoi refuser à mon âme
Sa part de consolation ?