Page:Boutroux - Études d’histoire de la philosophie.djvu/224

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opération passive. On ne le possède que s’il se crée en nous. Posséder Dieu, c’est vivre de la vie de Dieu.

D’autre part, Boehme a appris de Luther que l’homme naturel n’est pas simplement un fils éloigné de son père, qu’entre Dieu et sa créature il n’y a pas seulement un espace inerte, un non-être sans résistance. L’homme naturel est révolté contre son créateur : entre lui et Dieu se dresse le péché, comme une puissance réelle et positive, qui fait effort pour surmonter l’action divine. Le mal n’est pas un non-être : c’est un être véritable, qui lutte avec le bon principe. Et Boehme retrouve partout dans la nature cette guerre effective que Luther lui a fait voir dans la conscience humaine. Qu’il regarde le soleil et les étoiles, ou les nuages, la pluie et la neige, les créatures raisonnables ou les créatures sans raison, telles que le bois, les pierres, la terre et les éléments ; de quelque côté qu’il se tourne, partout il voit le mal vis-à-vis du bien, la colère en face de l’amour, l’opposition du oui et du non. La justice même, ici-bas, est aux prises avec son contraire. Car les impies prospèrent comme les fidèles, les peuples barbares sont en possession des plus riches contrées, et jouissent plus que les serviteurs de Dieu des biens de la terre. « En observant ces choses, nous dit Boehme, je suis tombé dans une profonde mélancolie et mon esprit s’est troublé. Aucun livre, de ceux que je connaissais, ne m’apporta de consolation. Et le diable était là qui me guettait et me soufflait des pensées païennes que j’aurais honte d’exprimer ici. » Est-