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ÉTUDES D’HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE

du Phédon donne l’impression de la réalité historique. Mais une telle préférence est mal justifiée. Comme le texte du Phédon a pour objet de nous montrer l’origine de la théorie des idées, laquelle, d’ailleurs, est mise également dans la bouche de Socrate, il convient d’attribuer à Platon lui-même les réflexions par lesquelles débute cette exposition. Quant à l’Apologie, elle a certainement une valeur historique, comme le prouve, entre autres détails, cette curieuse prédiction faite par Socrate aux juges[1], que, lui mort, les Athéniens verront s’élever contre eux un bien plus grand nombre de censeurs (ἐλέγχοντες), d’autant plus désagréables qu’ils seront plus jeunes. Cette prédiction, qui ne paraît pas s’être réalisée, eût été sûrement omise dans une apologie imaginée par Platon lui-même. Mais si Socrate a en effet mis au défi ses auditeurs de prouver qu’il eût jamais dit le moindre mot touchant les questions physiques[2], comment pourrions-nous affirmer le contraire ? Faudra-t-il donc mettre les fables d’un poète comique au-dessus du témoignage de Socrate lui-même ?

Nous renoncerons donc à connaître les idées qu’a professées Socrate dans sa jeunesse et même dans sa maturité. Nous avons lieu d’ailleurs de supposer qu’elles étaient en conformité avec celles qu’il professa à la fin de sa vie, puisque, dans l’Apologie, Socrate dit à ses auditeurs que, s’ils sont prévenus contre lui et s’ils le

  1. Ch. xxx, p. 39, cd. Cf. Grote.
  2. Ch. iii, p. 19 d.