Page:Boutroux - Études d’histoire de la philosophie.djvu/256

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rapport avec quelque chose d’opposé à soi. À la pensée il faut un objet qu’elle considère et qu’elle s’assimile ; à l’action il faut une matière qu’elle dompte et spiritualise. Cette loi est universelle, et la personnalité absolue elle-même ne saurait s’y soustraire sans contradiction. D’autre part, l’être absolu doit être cause de soi et ne dépendre de rien d’étranger à soi. L’être absolu doit donc, s’il veut être personne, tirer de soi un objet opposé à lui-même, auquel s’applique son intelligence et que modifie son activité. Il faut que la divinité une et infinie se transforme d’elle-même en une dualité, dont l’un des deux termes sera le Dieu véritable, l’autre la nature dont ce Dieu a besoin. Ainsi conçu comme sujet et agent en face d’un objet et d’une matière issus de son propre fonds, Dieu a une tâche à remplir, à savoir la résolution de l’antinomie qu’il a créée en lui-même ; et par l’accomplissement de cette tâche il se réalise en tant que personne. Son action, sa pensée, sa vie et son existence sont dès lors autre chose que l’ombre de la vie et de l’activité humaine : ce sont les types parfaits dont l’existence des créatures ne nous offre que de pâles images.

Qu’est-ce que maintenant que ce système, où Dieu s’engendre lui-même en posant et surmontant son contraire ? N’est-ce pas cette antique doctrine de la Nuit comme premier principe, que déjà Aristote condamnait chez ses devanciers ? Le premier être, disait Aristote, n’est pas l’imparfait, mais le parfait : dans l’ordre des