Page:Boutroux - Études d’histoire de la philosophie.djvu/259

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innommable et inintelligible, parait bien n’être encore que la chose, dépouillée, par le dernier effort de l’abstraction, de la dernière de ses qualités. Tout autre est le principe de notre mystique théosophe. Chrétien et spiritualiste, c’est à la personnalité sous sa forme la plus parfaite qu’il assigne le premier rang. Et du point de vue où il est placé, l’indétermination, l’infini, le rien ont un sens tout autre que dans la philosophie antique. Le rien n’est plus le manque de qualité et de perfection d’une chose qui ne peut exister que si elle est déterminée : c’est l’infinie fécondité d’un esprit qui est par sa puissance même et que n’épuise aucune de ses productions. Négatif au point de vue externe de l’objectivité, le principe de Boehme est au contraire absolument positif au point de vue intérieur de la vie et de la génération. En lui-même, ce principe n’est pas l’imparfait, mais le parfait ; et le progrès qu’admet Boehme, en un sens d’ailleurs relatif à l’esprit humain, est un progrès dans la manifestation, non dans la perfection intrinsèque de Dieu. Le système du monde métaphysique a été retourné : ce n’est plus l’intelligence qui est suspendue à l’intelligible, c’est l’intelligible qui est suspendu à l’intelligence. Ce n’est plus le sujet qui tient de l’objet son existence, c’est l’objet qui existe par le sujet. Si cette substitution s’est produite, c’est que l’homme a découvert, dans ce qui fait le fond du sujet, dans l’esprit et la volonté, un je ne sais quoi d’irréductible, qu’il a jugé plus réel dans son indé-