Page:Boutroux - Études d’histoire de la philosophie.djvu/272

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s’épuise dans un acte unique. La faute de Lucifer est donc irrémédiable. Nulle conversion n’est pour lui possible, car il n’est plus que feu et colère, et la lumière n’a plus de prise sur lui. L’enfer qu’il a créé est éternel comme sa volonté même.

Cependant la nature terrestre que gouvernent les anges subit le contrecoup de leur faute. La confusion s’y introduit. L’amour en étant exilé, le lien qui retenait les forces se brise, et chacune d’elles s’échappe suivant son caprice. Ce n’est plus l’unité personnelle où les parties sont les organes d’un tout, c’est la multiplicité individuelle, où chaque partie se considère comme le tout, à l’exclusion des autres.

Telle est maintenant la nature : la terre est informe et nue, les ténèbres couvrent la face de l’abîme. Mais l’esprit de Dieu flotte sur son œuvre bouleversée, et le Père résout d’accomplir une création nouvelle en retirant la nature de la nuit où elle est tombée. Cette création est celle qu’a racontée Moïse. Dieu dit : « Que la lumière soit ! » et la lumière se sépara d’avec les ténèbres. En sept jours, conformément au nombre des esprits divins, Dieu rétablit la nature dans son harmonie. Il ne détruisit pas purement et simplement l’œuvre de Lucifer. Il donna à la nature une arme contre le mal et un instrument de régénération, à savoir le temps. Grâce à la succession, concevoir n’est plus agir, et la volonté peut s’arrêter au bord du précipice. Même accompli, l’acte n’épuise plus l’activité. Ni les bons ne sont désormais