Page:Boutroux - Études d’histoire de la philosophie.djvu/277

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C’est le second péché, celui de la sensibilité. L’homme a fait un pas de plus vers la perdition. Il n’est pas déchu cependant, car les désirs de la chair eux-mêmes n’ôtent pas à l’homme la possession de soi, et sa volonté lui reste.

La chute que n’a réalisée ni la perversion de l’intelligence ni celle de la sensibilité, sera consommée par la perversion de la volonté. Le diable souffla à l’homme le désir de vivre de sa volonté propre, de se suffire, de se faire Dieu. L’homme consentit à la tentation, et, par la désobéissance, se posa en face de Dieu comme son égal. Dès lors il ne fut plus seulement incliné vers le mal, il s’y précipita. Il devint ce qu’il avait voulu être, mais en un sens contraire à celui qu’il avait imaginé. Il devint dieu, non le dieu d’amour, de lumière et de vie qui seul est le vrai Dieu, mais le dieu de la colère, des ténèbres et de la mort, qui n’est que la personnification sacrilège et diabolique du fonds mystérieux de la divinité.

L’homme alors fut maudit, ou plutôt il se déclara lui-même l’enfant du diable. Sa volonté, mauvaise d’elle-même, le détacha de Dieu et le voua à la colère. Par suite de cette malédiction, le monde, dont l’homme était le résumé et le moteur, passa de l’état d’harmonie à l’état de dispersion individuelle. Chaque être prétendit y vivre pour soi et s’y développer sans souci des autres. La lutte pour la vie en devint la seule loi.

L’homme, toutefois, ne fut pas condamné par Dieu à tout jamais, comme l’avait été Lucifer ; car les conditions