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ÉTUDES D’HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE

est lui-même son maître, et c’est la nature, avec ses mystères et son éloignement, qui est le divin. Pour le chrétien et le moderne, l’infini de la vie intérieure est le divin et c’est la nature, matière brute et passive, qui est l’objet proposé à l’activité humaine.

La condamnation de l’ancienne physique par Socrate a sa cause première dans le fonds d’idées propres à sa nation. La Grèce ne pouvait se reconnaître entièrement dans ces spéculations sur les principes des choses où s’étaient hasardés les physiologues. Sans doute la puissance de raisonnement, la subtilité ingénieuse, le sens merveilleux de l’harmonie qu’avaient déployés ces profonds chercheurs étaient son bien mais l’application immédiate de ces qualités d’esprit aux objets matériels les plus étrangers à l’homme était contraire au génie d’une race essentiellement politique, éprise, par dessus tout, de beaux discours et de belles actions. Et puis, comment concilier une philosophie qui se proposait d’expliquer les phénomènes physiques par des causes toutes naturelles, avec une religion qui mettait partout l’action immédiate des dieux ? C’étaient des Grecs sans doute qui avaient ordonné ces beaux systèmes où la nature était soumise aux lois de la pensée, mais c’étaient des citoyens des colonies, entretenant des relations avec les Égyptiens, les Phéniciens, les Babyloniens. Ils avaient créé la forme l’Orient leur avait fourni la matière. Détacher les affaires humaines de l’ensemble des choses, en faire le propre domaine de l’intelligence comme de