Page:Boutroux - Études d’histoire de la philosophie.djvu/280

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choses mécaniquement, à la manière d’une force située dans l’espace. Dès lors la raison, assimilant Dieu aux créatures, lui prête un mode de pensée et d’action analogue à celui de l’homme. Elle croit que Dieu, avant la création, a délibéré en lui-même pour savoir quelle place il assignerait à chaque créature. Et elle suppose que Dieu a décidé d’appeler une partie des hommes à la joie céleste pour manifester sa grâce, et de vouer l’autre partie à la damnation pour manifester sa colère. Dieu aurait ainsi fait, de toute éternité, une différence entre les hommes, pour déployer sa puissance dans le sens de la colère comme dans le sens de l’amour.

Il y a certes une élection de la grâce, mais elle ne saurait se produire de la manière que la raison imagine. Si Dieu délibérait et se décidait comme nous, s’il gouvernait les choses du dehors, il serait divisé avec lui-même, il changerait, il ne serait pas éternel. Comment d’ailleurs Dieu pourrait-il vouloir damner une partie de ses créatures ? Dieu est amour et veut le bien de tous les êtres. L’élection et la damnation ne sont pas le fait d’une volonté extérieure à l’homme. L’homme est libre, absolument libre ; car la racine de son être plonge dans le fonds éternel et infini des choses. La volonté humaine n’a rien derrière elle qui puisse la contraindre. Elle est, elle-même, le premier commencement de ses actions. C’est de cette liberté même que résulte l’élection ou la damnation. Par elle, l’homme peut se tourner, selon qu’il lui plaît, vers la lumière ou vers les ténèbres, vers