Page:Boutroux - Études d’histoire de la philosophie.djvu/434

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comme science distincte ; on se rend compte, par l’exemple comme par la théorie, des conditions de son existence et de ses progrès.

Cette préface de Jouffroy fut un véritable événement littéraire. Elle donna à la nouvelle école un point d’appui précis pour combattre le matérialisme, en même temps qu’une lumière nouvelle pour se conduire dans les recherches théoriques.

Secondé par la faveur publique, Jouffroy entreprit, avec son élève Adolphe Garnier, la traduction des œuvres complètes de Thomas Reid. Le premier volume parut en 1828. La traduction fut achevée en 1836. Revenant sur les services rendus par la philosophie écossaise, Jouffroy expose, dans une nouvelle préface, que ce qui a entravé les progrès de la philosophie, c’est la précipitation indiscrète avec laquelle on a posé d’abord les questions métaphysiques les plus abstruses. Il faut aller des observations aux questions, non des questions aux observations. Il faut savoir ajourner les problèmes, tant que le progrès des connaissances d’observation ne les fait pas naître de lui-même. L’âme est-elle spirituelle, immortelle ? C’est ce qu’on ne peut examiner utilement qu’au terme de la science. Le grand mérite des Écossais, c’est d’avoir arraché la philosophie à la servitude des questions et de l’avoir rendue à elle-même, c’est-à-dire à la libre observation des phénomènes de l’esprit humain. En procédant ainsi, les Écossais ont véritablement créé la philosophie comme science. Qu’elle s’orga-