Page:Boutroux - Pascal.djvu/174

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principes. Elle reçoit, indifférente, les principes nécessaires à ses raisonnements, et de ce qu’il y a de plus relevé dans notre cœur, et de ce qu’il y a de plus bas dans nos sens. C’est un jeu pour elle de soutenir le pour et le contre.

Cherchera-t-on, sons ces contrariétés, un fonds un et permanent, que l’on appellerait proprement notre nature ? La coutume, chez nous, a cette force, de contraindre, transformer et créer la nature. Qui prouvera que ce que nous appelons notre nature soit autre chose qu’une plus ancienne coutume ? Notre nature nous fuit éternellement. Nous sommes et nous ne sommes pas.

Cependant nous pouvons pénétrer plus avant encore dans les profondeurs de notre être. Par delà nos actions, nos facultés et notre nature, il y a notre moi, qui se pense et se connaît, et qui a peut-être en lui-même la puissance nécessaire pour mettre l’ordre et l’unité dans sa nature et dans ses actions. Mais ce moi est en proie à un mal étrange, dont lui-même ne se rend pas compte le besoin de divertissement. Quelle est la fin dernière de tous nos actes ? Qu’est-ce que l’homme attend de la richesse, des honneurs, des amusements, de la science, de la puissance ? La diversion, l’oubli de soi. C’est que notre cœur, ainsi que le révèle l’étude des passions de l’amour, est un abîme à la fois infini et vide, qui aspire à se combler. Or le monde ne nous fournit que des objets finis, des atomes, qui flottent dans sa capacité. Nous passons constamment des uns aux autres ; et notre souffrance demeure, parce que nous sommes toujours aussi loin du terme que nous poursuivons.