Page:Bouyer - Claude Lorrain, Laurens.djvu/12

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d’âme et chargée d’ombre : et comme la jeunesse du paysage coïncide étrangement, mais fatalement, avec la vieillesse de la peinture, le genre, à ses débuts, semblait condamné, dans l’atelier des Bolonais, à toutes les lourdeurs du clair-obscur ; mais Claude ouvre la porte de la prison. Claude n’est donc pas seulement un maître classique, une sorte de Racine, ou de Raphaël, ou de Mozart du paysage : c’est un novateur, et c’est un précurseur. Il offre une nouvelle preuve que la religion de la nature et la curiosité de la lumière ne sont pas deux inventions du siècle qui vient de finir. En plein XVIIe siècle, loin de l’Académie, loin de Versailles, avant Le Nôtre, à côté de Poussin sublime, en regard de Ruysdael et de Rembrandt, comme lui peintres-graveurs, et dont la « chambre noire » idéalise toute la mélancolique intimité du Nord, le Lorrain demande au Midi l’inspiration, et le Midi commente son génie. Qu’il découvre d’infinies perspectives baignées dans l’air diaphane des crépuscules ou des aubes, qu’il projette dans une haie d’émeraude l’image des voiliers majestueux ou des palais de marbre, qu’il enveloppe le galbe élancé d’un beau feuillage dans un bain d’or, qu’il réalise enfin sur ses toiles, dans ses eaux-fortes, en ses dessins mêmes, l’hymen étincelant de l’arabesque et du jour en réconciliant dans un accord inédit, mais souverain, le ciel et la mer, le Lorrain chante un poème méridional ; et c’est le meilleur poète français du siècle de Louis XIV, comme La Fontaine en est le plus rustique paysagiste. Coloriste, au souvenir d’un effet de la