Page:Boyer d’Argens - Lettres juives, 1754, tome 1.djvu/234

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de génies supérieurs, il faut chercher d’autres raisons que l’impuissance de la nature. Elle forme dans chaque siecle un égal nombre de personnes à qui elle accorde la faculté de pouvoir s’élever au grand & au sublime : mais il faut que ces talens soient cultivés. Que peut rapporter une terre excellente, si elle est en friche ? Il en est de notre ame comme d’un champ : elle ne produit que le gain qu’on y seme. Je t’ai écrit de quelle façon les jeunes gens faisoient leurs études, & combien peu de profit ils en retiroient. D’ailleurs, la gloire & l’émulation sont les premiers mobiles des sciences. Lorsque le desir d’aller à l’immortalité n’est pas soutenu par les louanges, par les récompenses & par l’estime du public, ces vertus languissent, & paroissent comme en léthargie.

Sous Louis XIV, ainsi qu’au siecle d’Auguste, on ne connoissoit pas cette étrange inégalité, qu’on semble mettre entre un grand poëte & un excellent historien, & un homme dont tout le mérite est d’avoir une longue suite d’ayeux. La vertu, la science étoient récompensées dans tous les états ; & le monarque, amateur du mérite, faisoit pénétrer ses bienfaits jusques dans les lieux les plus éloignés. La cour, imitatrice servile des vices & des vertus