Page:Boyer d’Argens - Lettres juives, 1754, tome 1.djvu/254

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l’heureux moment ou l’opéra commençoit. Au sortir du spectacle, il se livroit à sa mélancolie. Un de ses amis le pria de lui apprendre la cause de ses chagrins. Le cœur se soulage à se plaindre : le provincial avoua qu’il étoit amoureux de la Prévôt. L’impossibilité, ajoûta-t-il, que je vois à pouvoir jamais être heureux me rend insensible à tous les bien de la vie. Calmez-vous, lui répondit son ami, vos maux ne sont pas sans remede, je connois une fille des chœurs. Je lui parlerai demain en votre faveur ; peut-être serez-vous plus heureux que vous ne pensez. Au reste, vous ne devez point espérer de pouvoir vous déclarer amant de la Prévôt. Elle est aimée d’un seigneur ; mais si vous vous contentez d’un seul rendez-vous, & que vous ne regrettiez pas cent louis, je crois votre affaire sûre. Le provincial consentit à ces conditions. L’ami les proposa à la fille des chœurs, & la fille des chœurs à la Prévôt. L’adroite confidente s’acquitta à merveille de son ministere. Il y avoit six louis pour elle si le rendez-vous étoit accordé. Aussi le fût-il. Le provincial donna les cent louis d’or, comptés dans une bourse.

Il eut depuis neuf heures du soir jusqu’à huit heures du matin, l’objet de ses vœux à discrétion. Apparemment il tâcha de gagner ses cent