Page:Boyer d’Argens - Lettres juives, 1754, tome 1.djvu/90

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uns de ceux qui ne vouloient pas croire que le souverain pontife raisonnoit sensément, lors même qu’il extravaguoit, a fort appaisé les divisions.

Je t’avouerai, mon cher Isaac, que, si j’avois été chargé du ministère de France dans le commencement de cette affaire, j’en eusse prévu les suites, & je les eusse évitées. Les Vénitiens, dont tu connois le génie politique, reçoivent souvent de ces écrits pontificaux, & les renferment, sans les lire, dans un coffre, où il y en a déjà nombre d’autres, & qui sert toujours au même usage.

Il eût été prudent de tenir la même conduite. Mais lorsque le souverain s’étoit déclaré, qu’il vouloit que cet écrit fût reçu, & qu’il regardoit comme ennemis de l’état ceux qui le refusoient, la désobéissance des sujets devenoit un crime. Le bien public, la tranquillité, le repos de la patrie, exigeoient d’eux cette complaisance.

Ce n’est pas, mon cher Isaac, que j’accorde au roi cette puissance aveugle & despotique qu’exercent les sultans. Non, ce n’est pas-là mon sentiment. Je veux qu’un roi soit le pere du peuple, & n’en soit pas le tyran. Mais je soutiens que, pour le bonheur de l’état, il doit avoir un pouvoir supérieur ; & qu’il faut qu’il soit au-dessus de ses