Page:Boyer d’Argens - Lettres juives, 1754, tome 3.djvu/20

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réflexions que j’ai faites au sujet de cette piéce, & pour que tu puisses les mieux goûter, il faut que je te dise un mot sur le caractère de l’auteur.

Voltaire, c’est ainsi qu’on l’appelle, est doué d’un génie vif, pénétrant, hardi. Il est excellent versificateur, meilleur philosophe que ne le sont ordinairement les poëtes : honnête homme, doux & uni dans la société mais fort prévenu de l’attention qu’on doit avoir pour un homme d’esprit ; il estime un véritable sçavant beaucoup plus qu’un ancien noble, qui n’a d’autre mérite que sa noblesse. Le peu d’égard qu’il a eu quelquefois pour des personnes du premier rang, lui a attiré des ennemis dangereux. Il écrit d’une façon si hardie, & il choque quelquefois si ouvertement la superstition, que les moines, leurs émissaires, & ceux qui ne l’aiment point, répandent par toute l’Europe qu’il n’a aucune religion. On voit cependant dans tous ses ouvrages un esprit de candeur & d’humanité, qui montre évidemment qu’il est pénétré de l’existence d’un Dieu bon, juste, & souverainement puissant. Quelques ouvrages même, qu’on lui reproche avec le plus d’aigreur, & auxquels il nie constamment d’avoir eu part, sont remplis partout des louanges que tous les hommes doivent à la divinité, par reconnoissance & par devoir.

Ce qu’il y a de surprenant dans ce pays, c’est la fureur que l’on a de vouloir, sans preuves, attribuer certains livres, & certains écrits, à des gens qui les désavouent. Tu te tromperois si tu croyois qu’en France un auteur n’est responsable que de ses propres ouvrages ; il l’est de tous ceux qu’il plaît au public & à ses ennemis de lui attribuer. Le vulgaire a condamné vingt écrivains sur des piéces auxquelles ils n’avoient jamais eu la moindre part. Mais ce qui t’étonnera encore, c’est l’acharnement que certains petits auteurs, vils excrémens du Parnasse,