Page:Boyer d’Argens - Lettres juives, 1754, tome 3.djvu/254

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délices. Il admiroit dans les saints errans cet abandonnement qui les faisait aller d’un bout du monde à l’autre, sans nulle provision. Voilà, mon cher Brito, dom Quichotte tout pur, ses termes, ses phrases, ses expressions, ses idées & ses sentimens.

La façon dont l’auteur fait déterminer son héros à suivre les aventures, est toute aussi maligne. Il tourne en ridicule dans un seul passage tous ces génies échauffés par une superstitieuse dévotion, dont les actions ridicules furent regardées comme des miracles par le bas-peuple nazaréen, & prônées comme des exemples de la plus sublime sainteté par une foule de moines fanatiques. Pourquoi, se dit le chevalier errant dom Inigo, moi qui suis d’une complexion si robuste, ne pourrai-je pas faire ce qu’ont fait tant de saints avec un tempérament délicat ; & ne prendre, comme S. Hilarion, pour toute nourriture que quatre figues par jour après le soleil couché, ou ne vivre, comme S. Apollone, que d’herbes crues, telles que les produit la terre sans être cultivée, & que les bêtes broutent ; ne dormir que sur une pierre sans m’y appuyer, comme S. Pacôme, ou assis dans le creux d’un tronc d’arbre, entouré de tous côtés de pieux pointus,