Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/257

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lui causait une douleur affreuse en même temps qu’un soulagement inouï. Solweg lui avait tendu les mains ; elle les lui embrassait.

— Sentez-vous combien j’avais envie que vous me pardonniez ce qu’un hasard m’avait fait commettre contre vous ?… contre vous ! oui ! certes ! ne dites pas non ! je sais trop bien comment le cœur se développe et grandit, et, en une seconde, j’ai peut-être ajouté, ce jour-là, dix années aux vôtres…

Solweg était un peu interdite, mais les derniers mots la frappèrent particulièrement :

— Dix années ! prononça-t-elle à demi-voix.

Et Mme Belvidera vit dans la grande et profonde douleur du regard de la pauvre enfant qu’il était vrai, hélas ! qu’elle l’avait vieillie dans cette proportion.

En effet, ce que les jeunes filles imaginent n’est rien en comparaison de la réalité ; et la beauté, la sincérité, l’élan de l’amour de Gabriel et de Luisa, de ce baiser interrompu sous la grotte, lui avait été une secousse extraordinaire. Quelle révélation, quel exemple, et quel attrait ! Dès ce moment-là, probablement, la figure du jeune homme avait fait sur elle une impression définitive. Il était si beau, si épris, et si charmant ! C’est sous ses traits que l’amour apparaissait à cette enfant. La tendresse éperdue dont le bras de Gabriel enlaçait Luisa, et la folie de toute l’attitude de la belle Italienne, suspendue à ses lèvres : que l’on songe à cette impression toute de grâce, d’élégance, d’enchantement, sur une jeune fille ardente et délicate, et de tout temps sevrée de caresses ! Dira-t-on que c’est précisément parce qu’elle était témoin de l’amour du jeune homme pour une femme, qu’elle ne pouvait pas concevoir d’amour pour lui ? Mais elle avait appris tout de suite que Gabriel