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LA MÉTAPHORE

longtemps fixées, l’action individuelle continue d’exercer. Telle image éclose dans quelque tête bien faite devient, en se répandant, propriété commune. Elle cesse alors d’être une image et devient appellation courante. Entre les tropes du langage et les métaphores des poètes il y a la même différence qu’entre un produit d’usage commun et une conquête récente de la science. L’écrivain évite les figures devenues banales : il aime mieux en créer de nouvelles. Ainsi se transforme le langage. C’est ce qu’ont parfois oublié nos étymologistes, toujours prêts à supposer une prétendue racine verbale, comme si l’imagination avait jamais été à court pour transporter un mot tout fait d’un ordre d’idées dans un autre.


Une espèce particulière de métaphore, extrêmement fréquente dans toutes les langues, vient de la communication entre les organes de nos sens, qui nous permet de transporter à l’ouïe des sensations éprouvées par la vue, ou au goût les idées que nous devons au toucher. Nous parlons d’une voix chaude, d’un chant large, d’un reproche amer, d’un ennui noir, avec la certitude d’être compris de tout le monde. La critique moderne, qui use et abuse de ce genre de transposition, ne fait que développer ce qui se trouve