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IDÉE DE CE TRAVAIL.

que tant de linguistes ne se lassent pas de construire et reconstruire : ainsi faisaient les Grecs quand ils imaginaient, pour rendre compte des différentes races, les ancêtres Æolus, Dorus, Ion et Achæus, fils ou petit-fils d’Hellen[1].

Il y a peu de livres qui, sous un mince volume, contiennent autant de paradoxes que le petit livre où Schleicher donne ses idées sur l’origine et le développement des langues. Cet esprit habituellement si clair et si méthodique, ce botaniste, ce darwinien, y trahit des habitudes de pensée qu’on aurait plutôt attendues chez quelque disciple de l’école mystique. Ainsi l’époque de perfection des langues serait située bien loin dans le passé, antérieurement à toute histoire : aussitôt qu’un peuple entre dans l’histoire, commence à avoir une littérature, la décadence, une décadence irréparable se déclare. Le langage se développe en sens contraire des progrès de l’esprit. Exemple remarquable du pouvoir que les impressions premières, les idées reçues dans l’enfance peuvent exercer[2] !

Laissant de côté les changements de phonétique, qui sont du ressort de la grammaire physiologique, j’étudie les causes intellectuelles qui ont présidé à

  1. Je signale à l’attention de mes lecteurs le récent travail de M. Victor Henry, qui, d’un point de vue différent, combat la même erreur : Antinomies linguistiques.
  2. Schleicher avait d’abord été destiné à l’état ecclésiastique. Il avait ensuite été hégélien.