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COMMENT S’EST FIXÉ LE SENS DES MOTS.

Tout le monde sait qu’il y a des noms savants donnés par méprise : ils font cependant le même usage que les autres. Christophe Colomb appelle Indiens les habitants du Nouveau-Monde. Un département français doit à une fausse lecture de s’appeler Calvados[1].


Nous pouvons donc nous résumer de cette façon :

Plus le mot s’est détaché de ses origines, plus il est au service de la pensée : selon les expériences que nous faisons, il se resserre ou s’étend, se spécifie ou se généralise. Il accompagne l’objet auquel il sert d’étiquette à travers les événements de l’histoire, montant en dignité ou descendant dans l’opinion, et passant quelquefois à l’opposé de l’acception initiale : d’autant plus apte à ces différents rôles qu’il est devenu plus complètement signe. L’altération phonétique, loin de lui nuire, lui est favorable, en ce qu’elle cache les rapports qu’il avait avec d’autres mots restés plus près du sens initial ou partis en des directions différentes. Mais alors même que l’altération phonétique n’est pas intervenue, la valeur actuelle et présente du mot exerce un tel pouvoir sur l’esprit, qu’elle nous

  1. On sait que Calvados est pour Salvador. L’erreur est venue d’une carte du diocèse de Bayeux, de 1650, qui porte ces mots : Rocher du Salvador. Sans la faute de lecture, le rocher n’aurait jamais eu pareille fortune.