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LES LOIS INTELLECTUELLES DU LANGAGE

fit qu’à côté de ces cas on plaça des adverbes servant à les déterminer. Mais l’habitude de placer le même adverbe à côté du même cas ne pouvait manquer de produire à la longue sur les esprits un effet dont nous aurons encore d’autres exemples dans la suite : entre la flexion et la particule de lieu ou de temps l’intelligence crut saisir un rapport spécial, une relation de cause à effet. Au lieu de regarder l’adverbe comme un simple déterminant du cas, l’intelligence populaire y vit la raison d’être du cas : paralogisme bien connu, que la philosophie désigne par la formule cum hoc, ergo propter hoc. Mais quand c’est le paralogisme de tout le monde, on sait qu’il est bien près de faire l’impression d’une vérité. En matière de langage, ce que le peuple croit sentir passe à l’état de réalité. Les adverbes de lieu et de temps comme ἀπό, περί, ἐπί, πρός, μετά, παρά, après avoir été l’accompagnement du génitif, du datif ou de l’accusatif, devinrent la cause de ces cas : d’adverbes, ils devinrent prépositions. L’esprit les doua d’une force transitive[1].

Dans la langue homérique, la transformation est déjà aux trois quarts accomplie[2]. Elle l’est tout à

    lieu d’où l’on vient, celui où l’on est. Mais il n’y avait pas de désinence pour dire « à travers », pour dire « sur », pour dire « avec », pour dire « autour », etc.

  1. On trouvera dans la Syntaxe de Delbrück de nombreux exemples de ce changement de rôle, les anciens adverbes devenant prépositions. Mais je diffère d’avis avec l’auteur du Grundriss sur l’ordre et l’enchaînement des faits.
  2. Dans ce membre de phrase : βλεφάρων ἀπὸ δάκρυον ἧκεν (a palpebris