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L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

mis, que le dragon du logement garni commence à vous tourmenter pour le paiement du loyer, que le pharmacien envoie sa note, et que la grande route s’ouvre béante devant vous, lorsqu’on reçoit l’ordre de décamper. Le moment de décamper est arrivé pour moi et Dieu seul sait si… Le Diable m’emporte si je sais où aller.

— Papa, vous n’êtes pas sans amis… moi-même je puis vous aider un peu.

— Oui, répondit le capitaine avec un amer sourire, une livre tous les trois mois, grappillée à grande peine, ce n’est pas là ce qui me sauvera de l’hôpital.

— Il y a M. Lenoble.

— Oui, il y a M. Lenoble, l’homme qui m’eût volontiers offert un port de refuge pour mes vieux jours… Il me l’a dit aujourd’hui même… une résidence digne d’un gentleman, car sa position actuelle n’est rien comparée à celle qu’il pourra avoir d’ici à une année. Il m’eût accepté comme beau-père sans rechercher mes antécédents et sans s’inquiéter de savoir si je n’ai pas toujours vécu en gentleman. Oui ! il était disposé à cela pour moi. Pensez-vous que je puisse maintenant lui rien demander après les refus que vous lui avez faits. Je sais que vous avez refusé d’être Sa femme, j’ai entendu… j’ai vu cela sur sa figure… Vous, une fille sans ressources, sans amis, sans autre perspective d’avenir que le patronage niais de la femme d’un agent de change… Il vous appartient bien de vous donner de grands airs et de mettre à la porte un pareil mari ! Pensez-vous qu’il y ait beaucoup d’hommes capables de courir après des filles dans votre situation… Croyez-vous que vous en trouverez dans la rue ? »