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L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

déjà appris à avoir un secret pour celui qui l’aimait.

« Je suppose qu’avant que nous soyons mariés, je pourrai lui tout dire ? fît-elle observer.

— Certainement, ma chère. Tout ce que je veux, c’est de mettre à l’épreuve sa persévérance et sa prudence. Si le cours des événements prouve qu’il mérite confiance, je me fierai à lui.

— Oh ! je n’ai pas de crainte à ce sujet, papa.

— Naturellement non, ma chère ; mais voyez-vous j’ai vos intérêts à protéger, et je ne puis pas voir ce jeune homme avec vos yeux. Je suis obligé d’être prudent. »

Le spéculateur soupira en disant cela : c’était un soupir de profonde lassitude.

Le remords lui était inconnu ; les fibres délicates sur lesquelles vibre cette corde n’avaient pas été employées dans la fabrication de son cœur. Mais il y a une fatigue morale qui participe de la nature du remords, ce sentiment plus noble, dont il a les angoisses. C’est une fatigue et une prostration de l’esprit, une défaillance du cœur, un ardent désir de se coucher pour mourir. C’est l’accablement du chien battu, bien plus que celui de l’homme découragé.

C’était là ce que Sheldon ressentait, à mesure que les mailles du filet qu’il tissait se multipliaient et devenaient chaque jour plus difficiles à manier.

Le succès, dans l’œuvre qu’il poursuivait, dépendait de bien des éventualités ; au loin brillait le but splendide qu’il voulait atteindre, la possession, sans personne qui la lui disputât, des cent mille livres laissées par John Haygarth ; mais entre l’auteur et le but final de tous ces complots, quel océan de difficultés !

Les mains croisées derrière la tête, Philippe regardait