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L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

« Oh ! mon Dieu ! que je l’aime ! » se disait-il à lui-même pendant que la basse-taille de Raoul se faisait entendre à l’une de ses oreilles, et que la voix criarde de Léon le torturait de l’autre côté.

Il s’approcha de Mme Magnotte aussitôt après le dîner.

« Elle est partie ? s’exclama-t-il.

— Qui cela, mon ami ? Ah ! c’est de cette pauvre Mme Meynell que vous parlez. Combien vous prenez intérêt à elle ! Non, elle n’est pas partie, la pauvre femme. Elle reste encore. Elle a l’air d’une personne qui ne sait pas ce qu’elle veut faire. Cependant, je suis sûre qu’elle pense à s’en aller. Aujourd’hui, pour la première fois, elle a écrit des lettres. Reine est venue me dire qu’elle l’avait vue écrire dans sa chambre : c’est la première fois. »

Le cœur de Gustave sauta, bondit brusquement.

Elle n’était pas partie, il pourrait encore la voir, ne fût-ce qu’une seconde, par la portière de la voiture, au moment où la diligence quitterait la cour des messageries. Ce regard, ce coup d’œil, il les porterait toute sa vie dans son cœur.

Toute sa vie ! Il pensa à l’avenir, et il frémit.

Quelle triste vie devait être la sienne ! Cotenoir, Beaubocage, Madelon, le tribunal, plaider, lire des paperasses, étudier des livres ennuyeux !

Il frémit épouvanté en contemplant le vide de cette existence, d’une existence sans elle.

Elle avait écrit des lettres : sans nul doute ces lettres annonçaient son retour à ses amis. Son départ devait donc être très-prochain.

Gustave refusa de sortir ce soir-là : les étudiants, ses camarades, avaient arrangé un souper dans un bastringue des environs, alors très en vogue, où il y avait