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L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

La discussion fut longue, mais Susan persista dans sa résolution.

Pour se procurer l’argent nécessaire au voyage elle fit des efforts vraiment héroïques ; elle alla au mont-de-piété porter le dernier de ses petits trésors, le cher petit ornement dont elle n’avait jamais voulu se séparer, même lorsque la faim l’avait affolée, l’alliance, l’anneau de mariage que Gustave avait mis à son doigt devant Dieu ; ce double cercle symbolique sur un côté duquel était gravé son nom et sur l’autre celui de son mari. Pour quelques francs, elle l’engagea, afin de compléter l’argent dont elle avait besoin pour le voyage.

Ce qu’il lui en coûta pour le faire, ce qu’il lui en coûta pour se séparer de son mari malade et de son seul enfant, qui pourrait le dire ?

Il y a des angoisses qui ne peuvent être mesurées, des agonies qui dépassent les limites de l’horrible.

Elle partit.

Deux bonnes âmes, un ouvrier et une femme, logés dans une mansarde voisine, promirent de prendre soin du malade et de l’enfant : il n’y a pas de situation, si désolée qu’elle soit, dans laquelle un enfant ne puisse trouver un ami.

Le voyage fut long, fatigant ; la souffrance de son pauvre cœur malade fut presque insupportable, ce cœur si accablé, que l’espérance même pouvait à peine le soutenir.

Le temps était humide et couvert, bien qu’au cœur de l’été : la voyageuse solitaire prit froid et arriva à Londres avec la fièvre.

Malade, faible, sans secours, la grande ville lui parut d’une inexprimable tristesse, la plus dure de toutes les mères au cœur de pierre pour cette misérable orpheline.