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L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

crois pas que vous m’ayez jamais donné un dîner, sans me faire largement payer mon écot. Ne venez donc pas pleurer misère ici, et essayer de me persuader que le sang est plus épais que l’eau, ou que le lien fraternel qui nous unit est autre chose qu’un simple hasard de la naissance. Je vous ai dit maintenant tout ce que j’avais à vous dire, et plus tôt vous me débarrasserez de votre présence, et mieux cela vaudra pour tous deux

— George ! s’écria Philippe en joignant ses mains osseuses par un mouvement convulsif, et en gémissant d’une voix aussi lamentable que celle avec laquelle il demandait l’aumône dans les rues de New-York, vous ne pouvez me mettre à la porte par une nuit pareille. Regardez-moi, C’est tout ce que j’ai pu faire que de me traîner jusqu’ici. J’arrive à pied de Liverpool. Mes misérables membres ont été mordus par le froid, ulcérés, brisés, et torturés par les rhumatismes. Je suis venu sur un navire d’émigrants, avec un troupeau de misérables créatures qui avaient tenté la fortune de l’autre côté de l’Atlantique et échoué comme moi, et qui revenaient chercher un refuge dans les workhouses de leur mère-patrie. Vous ne savez peut-être pas ce que c’est qu’un navire d’émigrants… Il faut voir l’entrepont d’un de ces navires pour se faire une idée de ce que des êtres humains ont à souffrir, quand c’est la pauvreté qui tient le gouvernail du navire. Je suis descendu à terre à Liverpool, avec un demi-dollar dans ma poche, et je n’ai eu ni une nourriture ni un abri décents depuis que j’ai débarqué. Donnez-moi un trou pour m’y étendre jusqu’au moment où vous aurez obtenu pour moi un ordre d’admission dans le plus prochain hôpital. Il y a gros à parier que je n’en sortirai plus.