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L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

sieurs dignes matrones qui explorèrent les profondeurs de leurs grandes poches pour en extraire un sou pour lui, et des jeunes gens qui lui jetèrent la pièce de cuivre qu’il demandait avec le ton lamentable des mendiants de profession.

Quand il eut réuni le prix d’un verre de gin, il entra dans le premier cabaret qu’il rencontra et y dépensa son argent.

Il était trop souffrant pour faire supporter à son estomac une nourriture plus substantielle. Le gin lui donna une force et une chaleur passagères et lui permit de poursuivre son chemin avec un peu plus de vigueur pendant un certain temps, puis vint une période de défaillance et d’épuisement pendant laquelle chaque pas était une fatigue et une douleur.

Quelque chose de son ancienne nature, un reste de cette énergie dans la poursuite de ses desseins qui le caractérisait autrefois, se montrait encore en lui, malgré l’état de complète dégradation dans lequel il était tombé.

Comme le sauvage habitant des jungles poursuit sa course vers le camp ou le village qui envoie à ses narines l’odeur de la chair humaine, ainsi Philippe Sheldon continuait à marcher vers l’habitation de cet homme et de cette femme qui, de toutes les créatures humaines, étaient celles qu’il haïssait de la haine la plus féroce.

« Il ne me reste plus rien à faire qu’à me faire voleur, se dit-il à lui-même, et la première maison sur laquelle je tenterai mon premier coup de main sera celle de Valentin. »

L’idée de la violence chez une pareille créature était une idée de fou. Il n’avait pas d’armes et il ne possédait pas la force physique nécessaire pour lutter contre un enfant de douze ans.