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LA FEMME DU DOCTEUR.

nure romantique qui veut que le cœur d’un galant homme soit le temple du courage, de l’amour, et de la piété, — un autel consacré à toutes les vertus.

La maison de M. Raymond était une jolie construction gothique, demi-villa, demi-cottage, dont les fenêtres cintrées s’ouvraient sur un petit jardin, bien différent de celui de Camberwell, attendu qu’il était soigneusement tenu par un jardinier et factotum infatigable. Au delà du jardin s’étendaient les prairies, séparées du domaine de M. Raymond par une haie très-basse. Au delà de ces prairies les toits et les cheminées de Conventford se groupaient en masses sombres dans le lointain.

Raymond conduisit George au salon par la fenêtre cintrée, par laquelle le jeune homme revit encore une fois Label comme il l’avait vue la première fois : dans un jardin. Mais le tableau différait absolument de l’autre tableau qui hantait encore son souvenir comme une toile entrevue dans un musée encombré. Au lieu des poiriers plantés au milieu d’une pelouse négligée et des branches poussant leurs rameaux verdoyants sous un ciel de juillet, George vit une pelouse fraîchement fauchée, des plates-bandes soignées, des groupes sévères de lauriers, et de grandes prairies nues, que rien ne protégeait contre le vent glacial de mars. Sur le ciel d’un bleu pâle il vit la silhouette gracieuse d’Isabel se détacher nettement, non plus couchée dans un fauteuil et lisant un roman, mais marchant à pas comptés en compagnie de deux petites filles vêtues de noir. Une sensation douloureuse saisit le jeune médecin au cœur quand il vit cette taille enfantine, ce visage pâle et désolé, ces grands yeux tristes et rêveurs. Il sentit qu’il s’était opéré quelque