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LA FEMME DU DOCTEUR.

qu’il parcourt lorsqu’il a enfourché son dada favori.

Isabel était jeune. Elle n’avait pas renoncé à une de ses illusions, et elle croyait naïvement qu’elle pouvait garder ses rêves insensés et néanmoins être fidèle à Gilbert. George lui racontait sa vie d’écolier, mais elle ne trouvait aucun intérêt à ces récits puérils de luttes avec un adversaire plus fort et plus grand. (Et à propos, a-t-on jamais vu que le grand se trouvât le héros de la lutte ? Je me demande parfois ce que deviennent ces grands, plus tard, dans la vie. S’évanouissent-ils dans l’espace, dès qu’ils ont repassé le seuil de l’école ? Si non, comment se fait-il qu’on n’en entende jamais parler et que néanmoins chaque petit ait été victorieux en se battant contre un grand ?)

George raconta nombre d’aventures de ce genre à sa jeune femme ; puis, il passa à son adolescence, à la maladie et à la mort de son père, à sa nomination à l’emploi de médecin de la paroisse, à son isolement, à l’espérance qu’il nourrissait d’arriver à une position meilleure et plus lucrative un jour ou l’autre. Mais comme cela paraissait triste et prosaïque à cette jeune femme dont l’imagination nébuleuse vagabondait sans cesse dans les régions merveilleuses de la poésie et du roman ! C’était pour elle un soulagement quand George cessait de parler et la laissait libre de revenir à ses propres pensées, pendant qu’elle travaillait toujours à son fameux mouchoir de batiste, qu’elle se piquait le bout des doigts, et qu’elle emmêlait son fil.

Il n’y avait pas de livres dans le salon de l’hôtel et quand il y en aurait eu, cette semaine de lune de miel faisait à Isabel l’effet d’une période de cérémonie. Il