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LA FEMME DU DOCTEUR.

Mlle de la Vallière, — les Marie-Antoinette et les Charlotte Corday, les infortunés Kœnigsmark et les infâmes Borgia, toutes les histoires horribles et romanesques éparpillées à travers le dénombrement ennuyeux des Grandes Chartes et des Bills de Réforme, des Tiers-État et des Lits de Justice. Elle touchait un peu du piano, chantait un peu, peignait, d’après nature, des fleurs sur des feuilles de carton Bristol, ce qui ne veut pas dire qu’elle les représentait semblables à la nature, car il arrivait que les cobéas ressemblaient assez à des ronds découpés dans de la mousseline bleue, et un myope aurait pu prendre les fuchsias pour des crevettes rouges.

Mlle Sleaford avait reçu cette éducation incomplète et inutile qui est l’ambition des classes moyennes sans fortune. Elle quitta le pensionnat d’Albany Road à seize ans, et se mit en devoir de parfaire son éducation au moyen du cabinet de lecture le plus voisin. Elle ne perdit pas son temps à lire les œuvres modestes ou inconnues, mais elle se jeta sans hésiter sur les plus belles fleurs du jardin de la fiction, lut et relut sans cesse ses romans favoris et en copia des extraits de son choix sur des petits carnets à un sou, employés le plus souvent à noter les dépenses faites à la boucherie ou chez l’épicier. Elle savait par cœur des pages entières de ses auteurs favoris et en récitait parfois de longs passages romanesques à Sigismund dans le demi-jour des longues soirées d’été.

J’ai honte de dire que ce jeune homme, reprenant le lendemain la suite du Colonel Montefiasco, mettait des paraphrases de Bulwer, de Dickens, ou de Thackeray dans la bouche de ce gentleman et gratifiait cet héroïque scélérat de la gaieté d’un John Brodie, de la