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LA FEMME DU DOCTEUR.

la péroraison estropiée par l’élocution défectueuse de son oncle.

Le dîner se passa très-tranquillement. Le comte parla politique et Raymond causa très-agréablement sur les principes de la philosophie naturelle appliqués aux chefs de la nation. Il y avait un contraste étrange entre l’énergie de ces deux hommes qui avaient passé l’âge mûr, descendant tranquillement l’autre versant de la colline, et la langueur rêveuse que montraient les deux jeunes gens qui les écoutaient. George Sand a dit quelque part qu’aujourd’hui les livres les plus vieux sont écrits par les plus jeunes auteurs. N’aurait-elle pas pu aller plus loin et dire que de nos jours les jeunes gens sont plus vieux que leurs aînés ? Nous n’avons plus nos Springheeled Jacks et nos John Mittons ; Tom et Jerry ne sont plus populaires, ni dans le monde ni sur la scène ; nos jeunes aristocrates ne trouvent plus plaisant d’aller avec un corbillard aux courses d’Epsom, ou de défoncer les tonneaux de vin dans Haymarket ; mais à la place de tout ce tapage, une mortelle froideur s’est emparée de la jeunesse de notre pays, langueur morbide et stagnation d’esprit, desquelles il ne faut rien moins qu’une guerre de Crimée ou une révolte aux Indes pour tirer ces oisifs usés qui errent dans un monde désert.

Le dîner tirait à sa fin quand lord Ruysdale prononça un nom qui éveilla l’attention de Lansdell.

— Je suis passé par Graybridge en vous quittant, Roland, — dit-il, — et j’ai fait une visite ou deux. J’ai appris avec peine que M. Gilmore… Gilson… Gilbert, — oui, Gilbert, cet excellent jeune médecin que nous avons rencontré chez vous l’autre jour… l’année dernière, je veux dire… ma foi ! comme le temps passe !…