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LA FEMME DU DOCTEUR.

le trou là-bas, au delà de la maison du meunier, serait calme ce soir-là, calme, tranquille et unie, et brillerait d’une teinte rose au soleil couchant, comme les dalles d’une cathédrale éclairées par le reflet des grands vitraux. Pourquoi ne chercherait-elle pas la fin de ses chagrins dans le gouffre miroitant, si profond, si tranquille ? Elle pensa à Ophélia et à la fille du meunier sur les bords d’Allan Water. La trouverait-on flottant sur le ruisseau, avec des herbes et des nénuphars entremêlés à ses longs cheveux noirs ? Serait-elle jolie une fois morte ? Aurait-il du chagrin lorsqu’il apprendrait sa mort ? Un matin, en déjeunant, lirait-il un certain paragraphe dans les journaux et mourrait-il de la rupture d’un anévrisme ? Ou lirait-il et passerait-il outre ? Pourquoi y prendrait-il garde ? S’il s’était soucié d’elle, il n’aurait pas écrit cette lettre froide et guindée dans laquelle il n’y avait pas le plus petit mot de regret. De vagues pensées de cette nature se succédaient dans son esprit. Si elle pouvait avoir le courage de se rendre au bord de l’eau et de se laisser tomber tranquillement dans l’eau à l’endroit que Roland lui avait montré une certaine fois comme étant le plus profond ! Ce n’était pas l’idée du crime qu’elle commettrait qui empêchait cette ignorante enfant d’accomplir cette action désespérée, qui, dans son esprit, prenait une forme douce et sentimentale. C’était seulement le frisson d’horreur du plongeon, une horreur vague et informe du « quelque chose qui vient après, » terreur familière à tous ceux (même de l’esprit le plus frivole) qui réfléchissent à la question solennelle d’Hamlet ; c’était seulement une crainte vague qui sauvait cette enfant du premier mouvement irréfléchi de son cœur meurtri. Je sais qu’elle était à la fois coupable et folle ;