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LA FEMME DU DOCTEUR.

terre et ses habitants avait à jamais cessé, et un calme profond se fit en lui. Il était comme un homme qui a possédé une grande fortune et qui a été perpétuellement tourmenté par des doutes et des craintes à cause d’elle, et qui, s’éveillant un beau matin sans un sou, trouve un soulagement étrange dans l’idée qu’il n’a plus rien à perdre. La lutte est finie. Le tentateur n’a plus à lui murmurer à l’oreille pour le pousser à courir après une des flammes vagabondes que produisent les exhalaisons des hideux marécages du monde. Plus d’irrésolution, plus de perplexité. Le problème de la vie était résolu ; une route nouvelle et inattendue s’ouvrait pour lui dans ce grand désert ennuyeux que les hommes appellent la vie. D’abord la pensée de la délivrance prochaine ne lui apporta pas d’autre sentiment que celui du soulagement. Ce ne fut que plus tard, lorsqu’il se fut familiarisé avec le nouvel aspect des choses, qu’il commença à penser avec remords à cette existence gaspillée qu’il laissait derrière lui. Cette pensée le poursuivait même pendant qu’Isabel était près de lui ; car, après être resté quelque temps silencieux, comme assoupi, à ce que pensaient ceux qui l’entouraient, — il leva ses paupières pesantes et dit à Isabel :

— Si jamais vous possédez les moyens de faire beaucoup de bien, d’être très utile à votre prochain, pensez, je vous prie, à ma vie perdue, Isabel. Vous vous efforcerez de montrer de la patience, n’est-ce pas, mon amie ? Vous ne penserez pas, s’il vous arrive de voir échouer le projet favori que vous caressiez en vue de la régénération de l’espèce humaine, que vous êtes libre de vous laver les mains de l’entreprise et de vous tenir à l’écart, haussant les épaules en contem-