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LA TRACE

rament et de ma complexion ne sont pas très-sujets à cette épidémie générale que l’on appelle l’amour. Mais autant qu’il était en mon pouvoir d’aimer quelqu’un, j’aimai cette petite fille de manufacture. J’avais coutume de la rencontrer lorsqu’elle allait à son travail et qu’elle en revenait, comme j’allais et revenais du mien, et nous fîmes connaissance. Elle était charmante, naïve et jolie ; j’étais très-jeune, et j’ai à peine besoin de le dire, extrêmement stupide, et je l’épousai. Nous n’étions pas mariés depuis six mois que cet abominable Corse mit dans sa tête d’abdiquer, et je fus rappelé en France pour faire mon apparition aux Tuileries, en qualité de marquis de Cévennes. Maintenant, ce que j’ai à dire, le voici : si vous avez envie de chercher querelle à quelqu’un, cherchez querelle à ce Corse ; car s’il n’avait jamais signé son abdication à Fontainebleau (ce qu’il fit, soit dit en passant, d’une façon très-mélodramatique ; je suis en relations avec certaines gens à l’esprit faible, qui ne peuvent lire la description de cet événement sans verser des larmes), je n’aurais jamais abandonné ma pauvre petite femme anglaise.

— Le marquis de Cévennes ne pouvait donc ratifier le mariage de l’obscur professeur de français et de mathématiques ? demanda Raymond.

— Si le marquis de Cévennes avait été riche, il aurait pu agir ainsi ; mais la Restauration, qui me